Jane Austen correspond... avec Henry James

Ce blog est le premier d'une série de trois articles imaginant Jane Austen répondre aux auteurs inspirés par son œuvre. Restez connectés pour le prochain.
Mon très cher Henry,
Je profite de cette occasion pour vous écrire, et vous suis très reconnaissant de votre amitié qui me permet de le faire sans réserve, au sujet de vos notes réfléchies concernant mes propres contributions à la littérature. Je fais bien sûr référence au discours que vous m'avez fait l'honneur d'inclure dans votre conférence « La Leçon de Balzac ».
Je suis très flatté par vos éloges, en reconnaissance de ce que vous avez généreusement qualifié de mérite et d'intérêt intrinsèques pour l'œuvre de ma vie. Car, comme vous le savez, « j'écris uniquement pour la gloire, sans aucune perspective de rémunération pécuniaire » et « je suis trop vaniteux pour vouloir vous convaincre que vous m'avez loué au-delà de mes mérites ». Cependant, je dois vous corriger dans votre estimation de ma valeur auprès des éditeurs et des lecteurs : dans mes humbles œuvres, ils ont trouvé « leur chère Jane… si facile à reproduire avec élégance, sous toutes les formes de ce qu'on appelle le bon goût ». Je ne peux qu'accepter ces éloges, en toute moralité, comme les vôtres ; même si vous avez été encore plus indulgent en appréciant les perspectives plus concrètes de mes efforts pour promouvoir « ce qui semble être leur forme vendable ». Pour cela, je ne peux que vous remercier, car je sais comment vous, mon cher Henry, en tant que l'un de nous qui a osé s'exposer à la merci de la critique publique par l'écriture, comprenez la valeur au-delà de l'argent que cette confirmation de notre mérite offre.
Un autre point, pour lequel je vous suis redevable, est votre aimable rappel que je ne suis qu'une « femme ignorante et ignorante ayant osé devenir auteure ». Comme vous le dites vous-même, contrairement à un véritable maître de l'art littéraire, je ne conseillerais à aucun écrivain émergent de chercher dans l'œuvre de votre amie « des exemples marquants de ce que la composition, la distribution et l'arrangement peuvent apporter » et, comme vous le recommandez à juste titre, à ceux qui espèrent une orientation nécessaire d'aller « voir ailleurs ». Je vous suis extrêmement reconnaissante de me traiter en véritable amie et de m'exprimer ainsi en toute franchise, étant, comme vous le savez, toujours consciente des bienfaits que peut apporter l'expression d'une « conscience dramatisée » des événements par ses personnages ; comme vous l'êtes, comme me l'a agréablement fait savoir notre ami commun, M. Frank Leavis. Je vous prie cependant, tant que j'ai votre attention sur ce sujet, de bien vouloir m'aider à critiquer mes timides tentatives jusqu'ici de créer une sorte d'« arrangement compositionnel » concernant ma chère Emma. Notre ami M. Leavis convient que mes efforts pour composer comme si je ne faisais qu'un avec la conscience de ma chère héroïne Emma ont réussi à soutenir les « effets essentiels » de cette œuvre. Si seulement j'espérais recevoir la même reconnaissance de votre part en lisant mon humble offre, je n'exigerais pas que vous confirmiez la comparaison avancée par notre cher M. Leavis, que vous avez certainement découverte ; je fais bien sûr référence à sa comparaison entre nos techniques respectives d'organisation et de développement dans la composition de nos romans et je note, avec humilité, la généreuse suggestion que vous, Henry, n'avez pas pu « manquer de noter avec intérêt qu'Emma répond, par anticipation, à une prescription de votre part ».
Malgré le ton sérieux de vos rappels respectueux pour améliorer les efforts incessants de mon art, je me flatte, dans l'esquisse que vous avez dressée de mon écriture, que votre affection pour moi, cher ami, n'en est pas diminuée. Avec quelle élégance vous illustrez mes efforts ! Ma vanité et ma confiance en votre amitié m'encouragent à retranscrire vos mots.
Jane, « avec toute sa légère félicité, ne nous laisse guère plus curieux de son processus, ou de l’expérience en elle qui l’a alimenté, que la grive brune qui raconte son histoire depuis la branche du jardin. »
Je ne retiendrai votre attention sur ma correspondance qu'un instant de plus, car ma plume me rappelle, tandis que je recopie votre agréable réflexion sur mes compositions, que je dois un devoir particulier d'écrire à notre chère amie Miss Woolf, qui m'a à son tour obligé de ses compliments pour la même distinction dans ma description réfléchie des événements même les plus communs, comme vous l'avez fait vous-même, cher Henry.
Affectueusement vôtre
J. Austen
Mademoiselle Austen
Chawton
Alton
Hants
Niki Lindsay éprouve une profonde admiration pour la littérature classique, en particulier pour les œuvres de Jane Austen, ce qui l'a incitée à étudier la littérature anglaise à l'université. Lire, revoir les adaptations et écouter ses romans est une véritable thérapie et la divertit constamment. Cette profonde admiration, qui amuse sa famille, lui a néanmoins permis de tisser des liens avec d'autres personnes partageant le même enthousiasme et d'enrichir ses interactions sociales.
Notes de bas de page :
1 Henry James, « La Leçon de Balzac » (1905), extrait de « Jane Austen, A Collection of Critical Essays », édité par Ian Watt
2 Jane Austen, « Lettre à Cassandra Austen », jeudi 14 - vendredi 15 janvier 1796, extrait de « Jane Austen's Letters », quatrième édition, collectée et éditée par Deidre Le Faye.
3 Jane Austen, « Lettre à James Stanier Clarke », lundi 11 décembre 1815, extrait de « Jane Austen's Letters, quatrième édition, collectée et éditée par Deidre Le Faye.
4 Henry James, « La Leçon de Balzac » (1905)
5 ibid.
6 Jane Austen, « Lettre à James Stanier Clarke », lundi 11 décembre 1815, extrait de « Jane Austen's Letters, quatrième édition, collectée et éditée par Deidre Le Faye.
7 Henry James, « La Leçon de Balzac »
8 FR Leavis, « La Grande Tradition », de
http://archive.org/stream/greattradition031120mbp/greattradition031120mbp_djvu.txt
9, 10. ibid.
11. Henry James, « La Leçon de Balzac »
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